Histoire de PLOISY

 

 

     Pendant les premiers siècles de la féodalité, une seigneurie était avant tout un domaine terrien. La maison du maître se trouvait accolée à l'exploitation rurale qui en faisait la richesse. Cet état de choses dura jusqu'au moment où la noblesse déserta la campagne; on vit alors la ferme déborder sur le manoirs, seule elle le sauvera de l'abandon.

 

     Ainsi furent BERZY et PLOISY qui d'importance et de destinée différentes, quoique proches l'un de l'autre, ne se rencontreront que de nos temps. C'est l'abrégé de leur chronique féodale que nous allons rappeler.

 

     BERZY, dont, le nom apparaît dans un diplôme authentique de Charles le Chauve, est surtout connu par sa fameuse église romane, sa seigneurerie laïque, directement vassale des comtes de Soissons, ne fait son apparition qu'au cours du XV ème siècle, ses titulaires sont surtout connu par leurs transactions avec les abbayes, les cartulaires permettent de dresser la liste d'un douzaine d'entre eux, mais il est impossible de les rattacher les uns aux autres. Qu'il nous suffise de signaler :

     Foulques qui donna en 1190 l'église de PLOISY à Saint Crépin.

 

     Hugues, le poète et chansonnier qui, hardi à l'assaut de Constantinople (1192), hésitait à l'approche des tentations :

               "D'un péchié qu'on apèle amor

               Me prend souvent molt grand por"

 

     Foucard et Jean qui, de 1214 à 1220, firent retentir le pays albigeois du cliquetis de leurs fers et qui finalement furent abattus par les Toulousains, qui promenèrent leurs têtes au bout de leurs lances.

 

     Un autre, Foucard, qui manqua de respect à l'Abbé de Saint-Crépin-le-Grand et qui dut s'huilier devant lui (1240)

 

     Jean de Berzy, le compagnon de geôle de Bernard de Ploisy en 1310, tous deux templiers tourmentés par le roi.

 

     Les troubles de la guerre de 100 ans donnèrent un regain d'activité aux châteaux, on les renforça. Celui qui avait connu les personnages qu'on vient de citer, fut remplacé par l'autre dont on voit les restes, lequel sera complété par Pierre de Louvain, qui ajoutera l'entrée actuelle de diverses échauguettes.

 

     Louvain est originaire du Velay, il a conquis éperons et fortune dans l'armée de Charles VII. Il arrive chez nous et achète la terre de Berzy, ce qui le met en rapport de suzeraineté avec Pernant, où s'est retiré un autre capitaine, le fameux Guillaume de Flavy.

 

     La convoitise d'un vaste domaine soissonnais a fait de Flavy l'époux d'une fillette innocente; la jeunesse de Louvain désille l'innocente mal mariée, au point qu'on l'excuserait presque du meurtre du mari qu'elle va comploter au donjon de Nesle en 1449. Il décéda la nuit du 9 mars 1449.

 

     Dans cette cause célèbre du temps, Louvain avait signé sa complicité, d'abord en hébergeant les meurtriers dans la carrière de Berzy, ensuite en épousant la veuve. Ce fut le prologue d'un mélodrame à multiples épisodes qui opposera pendant cent ans beaux-frères, enfants utérins, petits-enfants et cousins.

 

     L'époque des Louvain est celle de l'apogée du Château de Berzy. Le capitaine Pierre est celui qui annexera Léchelle, Chazelle, Visigneux, Charentigny, puis en 1456 Vierzy; son œuvre de remembrement durera jusqu'à la Révolution. Par son épouse Blanche d'Overbreuc, il est en plus seigneur d'Acy, Pernant, Nesle, Coulonges, etc....Louvain ne se ménagera pas dans l'œuvre de reconquête nationale, il y est partout de deux côtés menacé : par l'ennemi et par les Flavy; c'est sous les traits de ces derniers qu'il succombe en 1464, alors qu'il regagnait Berzy.

 

     Claude, son fils aîné, prend alors le titre de vicomte, il est élu évêque de Soissons en 1503, mais un archidiacre compétiteur entre en lutte, et voilà cette fois une guerre cléricale, elle ne prendre fin qu'en 1515 quand Claude sera transféré à Sisteron. C'est à notre évêque-châtelain que l'on doit la charmante chapelle, d'ailleurs dédiée à Saint-Claude, greffée dans le fossé contre le portail du Château.

 

     En 1517 Nicolas, frère puiné de l'évêque, est maître de Berzy. D'abord seigneur de Vierzy et Nesle, le Nouveau vicomte est officier des ducs d'Orléans et Valois futurs rois, il est leur capitaine de Pierrefonds et il les suit dans leurs campagnes d'Italie, où on lui donne le commandement de Milan. Il n'en n'aime pas moins Berzy, il y rebâtit le fief de La Barre où ses armoiries restent gravées; il reconstruit la chapelle de Chazelle, pour laquelle, à Rome en 1495, il extorque une bulle au Papa Alexandre VI. Enfin, il fonde en 152 le Chapitre de six chanoines dont le curé sera doyen; il affecte à l'entretien de cette pieuse institution la terre et seigneurie de Charentigny.

 

     Le capitaine meurt (1526), son équivoque neveu Antoine, seigneur de Rognac, parut. A défaut de pouvoir s'en prendre à la veuve Jeanne de Saint Seigne, il conteste le patrimoine accordé aux chanoines, il harcèle sans trêve durant dix ans, jusqu'à leur renoncement. Quand à la veuve, elle était remariée au seigneur de Pierre-Buffière, tous deux accommodèrent en style renaissance la façade intérieur du Château, qu'ils timbrèrent de leurs armes.

 

     Jeanne meurt en 1542, le château fait retour aux Louvain du Tardenois. Louis Puy l'habite en 1544. Antoine de Louvain en cède ses droits en 1565. Ce doit être à ce moment que Jean d'Estrées dut entrer en sa possession.

 

     La désertion des propriétaires commence; d'Estrées, grand maître de l'artillerie de France, est soissonnais depuis 1525, il a maintenant élu domicile à Cœuvres, dont il achève le palais cette même année 1565.

 

      Berzy sera un des fleurons de la couronne du marquisat de Cœuvres, qui sera créé en 1585 en faveur d'Antoine, mais il ne sera plus visité que par les officiers seigneuriaux chargés de passer les baux et de rendre la justice.

 

     Pour s'être tout entière donnée au cortège de Cérès, la forteresse désaffectée n'en connaîtra pas moins les retours dévastateurs de Mars. Elle fut d'abord, en 1544, occupée par les rentres de Charles-Quint qui menaçait Soissons, puis en 1567 par une garnison calviniste. L'ère des luttes fratricides a commenté en 1594, Antoine d'Estrées captif des ligueurs fait appeler le receveur de Berzy pour répondre du tiers de sa rançon.

 

     Une fille du marquis exonère les manants de Berzy de divers droits en 1596, en considération des pertes éprouvées par eau. En 1617 enfin, lors du siège de Soissons, le château devient quartier général du marquis de Mauny, commandant des mercenaires liégeois.

 

     Il n'y a pas lieu de citer les divers membres de la famille d'Estrées, ils appartiennent plus à la grande histoire qu'à celle de Berzy, mais il faut   signaler que la déconfiture les atteignit. Victor-Marie vit en 1731 la saisie de son duché, qui fut vendu aux criées en 1739 après sa morte Le marquisat fut racheté par la veuve M. L. F. de Nosilles, puis fut partagé en deux lots en 1749. Celui qui nous intéresse échut à A. ML duc de Nosilles, frère de la précédente qui, l'année suivante, céda son acquisition aux deux mineurs Lepeltier de Saint-Fargeau. Les mineurs s'étaient endettés pour le règlement et leur versement alla rembourser les créanciers des d'Estrées-Noailles.

 

     L’indivision cessa en 1763 par un partage qui attribua à Mme de Chimay :   Berzy, Léchelle, Chazelle, Charentigny et Vierzy.

 

     Madeleine-Charlotte Lepeltier: veuve de TH. M. de Henin d'Alsace, comte de Bossu, prince de Chimay et du Saint Empire sera la dernière dame de Berzy. Elle n'aura pas de rapports directs avec son domaine. Malgré sa charge de dame de la suite de Mme Victoire (fille de Louis XV) son activité sera très effacée ; le bon aloi de notoriété de son neveu le conventionnel ne la sauvera pas des tracas. Prise de peur en 1792, elle cèlera à son notaire la terre de Vierzy ; il s'agissait d'une vente simulée, les évènements la rendront définitive et gratuite. Berzy, lui, sera saisi par la Nation en 1794 ; la " citoyenne Chimay " mourra peu après. En 1795, la confiscation est levée, les neveux se partagent les biens en 1800 et Amédée-Louis-Michel Lepeltier Saint- Fargeau recueille la ferme du château. Il est remarquable de constater que celui-ci vient se fixer à Berzy, il n'y vit pas en propriétaire oisif, il assume château et se retire au fief La Barre, qu'il transforme en parc botanique Le dernier arpentage fait par Lepeltier en 1811, confirme que les dépendances de la ferme : 72 hectares (en 59 articles) étaient restées telles que sous l'ancien régime (c'était la plus importante des cinq fermes de Berzy).

 

     L'acquéreur (était Guillaume-Charles Moreau, fils de notaire. La cinquième mutation qui suivra sera à la faveur de M. Charles Leroux en 1924.

 

     A ce moment, l'état de désolation du village, de l'église et de la ferme était poignant, sous les mâchicoulis de cette dernière un écriteau portait encore : " 100 hommes, 120 chevaux " ils furent les derniers guerriers qu'abrita la redoute. La position stratégique du promontoire de Berzy explique le déluge de fer de 1914-1917 et l'anéantissement lors de la ruée libératrice.

 

     Le service des Monuments historiques classa les vestiges par mais il n'entreprit son Ouvre de consolidation qu'en 1932.

 

     Toute vie a déserté les lieux ; né pour guerre, la guerre. Au-delà des fossés entaillés dans le roc, ses murailles et ses pignons déchiquetés se dressent. Le portail crénelé a encore bel aspect, la voûte qui le relie à la cour, par ses trois époques de construction, est comme la synthèse de toute la bâtisse. Carrières, grand cellier et chapelle sont intacts ; les salles domestiques sont le domaine des éléments, malgré ceux-ci, les murs suintent les souvenirs les cheminées moulurées des XVe et XVe siècles résistent désespérément, elles remémorent les rassemblements intimes de naguère ; sur ces allèges s'est accoudée Blanche d'Overbreuc qui, malgré elle, fut la femme de celui dont le nom est lié à la prise de la Pucelle De la terrasse du châtelet, comme Pierre de Louvain, nous pouvons contempler le décor magnifique et varié du pays soissonnais.

 

     La chronique de Ploisy est moins étoffée que celle que nous venons de parcourir ; Ploisy, moins orgueilleux que l'autre, est un château de vallée, Il se resserrait primitivement dans des douves qui tendent à disparaître et relevait de la vicomte de Busancy.

 

     Son premier titulaire, Renaud, paraît en 1200 dans le cartulaire de Saint-Jean des Vignes. Sont cités ensuite : Raoul (1215), Guillaume (1296) . Il faut attendre 1354 pour voir paraître la lignée des Pinard, qui sera chevaleresque. Jean Pinard de Ploisy est cité en 1354 et 1365. Renaud en 1380 et Simon Pinard ont du bien jusque sur Vierzy.

 

     Au moment où le roi fou fait cause commune avec la faction anglo-bourguignonne, Jean, seigneur de Ploisy dit Pinaguet, est un des ultimes défenseurs du Dauphin dans la région. Quand P. de Luxembourg vient pour réduire le Valois et le Soissonnais, notre Jean résiste dans le château de Pernant dont il est capitaine. En 1422, il est obligé de capituler, il promet de ne plus s'opposer aux termes du traité de Troyes. La promesse ne fut pas tenue, un fort long procès nous apprend comment il en souffrit. Jean fut repris les armes à la main, libéré sur parole par le capitaine de Meaux en 1430 pour quérir rançon, repris au cours de son voyage par un Anglais, qui l'enferme au château d'Orville. Péronelle de Thiays, femme de Ploisy, en appela au Parlement de cette incarcération illégitime ; l'Anglais, de son côté, multiplia ses objections plus ou moins fondées : selon lui, Ploisy l'aurait injurié ; ou bien, il avait été acheté par le duc de Bedfort (le bourreau de Jeanne d'Arc) , qui ne lui pardonnait pas le parjure du serment. Toujours est-il qu'en 1437, Jean était encore à la Bastille quand le parlement sollicitait sa délivrance.

 

     L'année suivante, c'est Ogier qui se trouve seigneur de Ploisy, il est en plus capitaine du château de Villers-Cotterêts et garde de la forêt de Retz pour le duc d'Orléans.

 

     En 1529 décède Dieudonné... (sic) , seigneur de Ploisy, Meclinois et bailli de la ville de Soissons. La même armée paraît aussi Jean de Mussin et la veuve de Regnault de Moyencourt, qui vend la seigneurie de Ploisy au   fameux Jean d'Estrées, déjà cité. Jean ne s'y fixa pas, il échangera ses dernières terres de Ploisy avec le Chapitre de St-Pierre en 1555, contre d'autres biens à Coeuvres.

 

     Au début du XVII siècle, mentionnons Jacques de la Haye, gentilhomme de bonne famille, seigneur de Ploisy ; il habite Rugny où lui naissent ses enfants, et où il meurt en 1635. La seigneurie est de son temps partagée avec les de Basin ; ceux-ci sont sans doute parents des Basin, baillis héréditaires de Soissons, qui ont donné notamment : Hélène " la muse " et celui que plaisamment Tallément de Réaux appelait " le roi de Soissons ".

 

     Pour en rester à nos locaux, nous rencontrons en 1615 Jacques de Basin, en 1631 François, seigneur de Ploisy, Maclenoye et, par sa femme Judith d'Auquoy (fille du seigneur de Courcelles ), de Branges et Loupeigne. Marie-Madeleine de Basin porte Ploisy à Antoine de Chastenet de Puységur, seigneur d'Aconin, fils cadet du vicomte de Busancy. Après eux viendront : Eustache de Basin (1692), Jacques de Puységur d'Aconin (1710), et, au milieu du siècle, un bourgeois cumulateur de charges : conseiller du roi, receveur des Tailles, contrôleur général des Domaines de la Généralité.

 

     C'était François-Michel Thomas, il acquit la terre et seigneurerie de Ploisy en 1749, celle de Missy aux Bois avec le fief de Maurepas en 1772. Thomas avait épousé Marie-Anne Ferté fille du fermier de Touvent. L'année de la Révolution il céda ses deux seigneuries à Paul-Charles Lemaire, puis continua à résider à Soissons où il était pendant les troubles trésorier du District.

 

     La liste qui précède aurait pu être plus complète si certain vandalisme ne s'était perpétré : En effet, les seigneurs élisaient sépulture dans l'église Saint Martin de Ploisy. Celle-ci, supprimée en 1816 fut vendue en 1819 et ruinée. On n'osa convertir en moellons les dalles funéraires, elles étaient vénérables à plus d'un titre et en plus présentaient un ensemble précieux pour l'histoire du costume depuis le XVe siècle. D'aucunes furent portées à l'église de Courmelles, d'autres à l'ancien fief de Latilly. Quinze effigies (dont dix de chevaliers) se virent à Courmelles jusque 1852, année où, malgré de véhémentes protestations, elles furent débitées pour servir au nouveau carrelage de l'église. De celles qui subsistent à Latilly, il en est une d'excellente conservation, son gisant, entièrement revêtu d'une armure de 1400, est un Pinard oublié qui fut l'époux de Mme Marie de Billy.

 

     Aucun vestige médiéval ne se trouve à ce qui fut le château de Ploisy.

 

     C'est un grand corps de logis à l'aspect sévère qui ne date que du 17e siècle.

 

     Il est donc l'œuvre des de Basin, mais on peut constater par ses pignons et ses piliers qu'il fut la modernisation d'un plus ancien, érigé au 16e siècle.

 

     La vieille ferme n'est plus représentée que par un colombier octogonal, que le déploiement de machines inconnues étonne.

 

     Notre désir était de remémorer, sous le seul côté féodal, les annales de deux manoirs mutés en fermes. Berzy, tombé à la peine, désormais simple but de promenades a fermé sa dernière page : il n'en est pas de même de Ploisy. Là, la façade de la cour est tournée vers les progrès du siècle ; l'autre l'est vers des bosquets et des parterres fleuris que le 17e siècle n'aurait pas dédaignés ; c'est la démonstration qu'il est possible d'acclimater l'héritage féodal évocateur aux besoins et au goût de notre temps.